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Premier souvenir

Il m’arrive souvent d’évoquer mon enfance, pour mieux comprendre ma personne, parce qu’il faut que l’on s’auto-analyse, je cherche toujours la provenance de certains comportements, j’essaye de savoir quand et comment j’ai commencé à agir de la sorte, beaucoup de personnes disent n’avoir aucun souvenir d’enfance, mais pas moi, mon premier souvenir remonte à l’âge de… deux ans, personne ne me croit quand je le dis mais j’ai des preuves, j’ai parlé à ma mère je lui ai décris des scènes dont elle était témoin, et d’une manière très précise qu’elle a fini par me croire.


Quand ils se sont mariés mes parents ont vécu pendant quatre ans seuls dans un appartement au septième étage d’un immeuble de la fin des années 70, avec pour voisins des jeunes couples et des familles d’immigrants russes, moi et ma deuxième sœur sommes nées dans cette maison, j’y ai passé mes trois premières années, puis ils ont déménagé dans une autre maison que je déteste, cet appartement est le seul chez moi que j’ai jamais eu, je ne suis jamais retournée là bas, ma dernière année dans cette maison était remarquable, j’ai vu l’éveil de ma conscience, mes interactions avec le monde extérieur et avec mon propre corps, et j’étais très attentive d’une manière inconsciente, comme dans un état d’extrême lucidité, j’étais page blanche et puis d’un coup, après cette nuit, le monde a pénétré dans ma tête comme un big-bang, la partie humaine de mon cerveau a commencé à fonctionner et il ne s’est jamais arrêté depuis, sauf volontairement.


Cette nuit, je me rappelle comme une scène de film que je viens de voir, c’est hallucinant, mais je ne me trompe pas, ma mère avait peur quand je lui ai avoué que j’ai commencé à mémoriser cette nuit, elle pensait certainement aux choses qu’on m’a laissé voir en croyant que j’étais inconsciente, « ce n’est qu’une enfant », pourquoi se méfier!


Cette nuit, une nuit d’été très chaude, je l’ai réalisé parce que, dans mon souvenir tout le monde était en petite tenue, et que j’étais mal, et que je me soulageais dés qu'on m’approche d’une des fenêtres ouvertes, quelque chose de frais appaisait cette pression que j’avais là haut, dans le visage, je pense que j’avais les traits tendus, et que je pleurais et pleurais, sans cesse.

Je me rappelle que quand on m’approchait des fenêtres je ne sentais plus besoin de pleurer, mais puisque je flottais dans l’air, quelqu’un me portait, je ne pouvais pas empêcher cette personne de m’éloigner de la fenêtre alors je m’énervais et je pleurais, je criais d’une petite voix aigu qui m’énervais encore plus quand je l’entendais.

On m’a posé sur une petite moquette, mais j’ai marché maladroitement vers le carrelage blanc, j’avais arrêté de pleurer, je me rappelle la différence entre les deux matières, la texture, la température, j’ai aimé toucher le carrelage pieds nus, et puis j’ai trébuché, ma culotte rose gonflée a amorti le choc sur mes fesse, mais à l’intérieur de la culotte, il y’avait le même malaise que quand on m’éloigne des fenêtres, il faisait chaud, et j’ai recommencé à pleurer, puis j’avais l’impression que je flottais, tout était noir, je ne pleurais plus, je crois que je me suis endormie.
Je me rappelle ensuite qu’on m’a fait bougé, on m’a changé de place, j’avais les yeux fermés mais j’ai senti une lumière forte à l’endroit où on m’a porté, Mama dit que je me suis endormie par terre et qu’elle m’a emmené au lit dans une autre pièce, et je me rappelle que j’étais en colère je ne voulais pas changer de place, j’étais bien, alors je me suis réveiller et j’ai recommencé à pleurer, je me rappelle que Mama a essayé de me calmer et que moi je lui en voulais m’avoir transporté loin de cette chose dure et froide qu’est la terre du salon, j’ai demandé du lait, je parlais un peu, des monosyllabes compréhensibles dans mon babillage interminable, et là je vois « P’a », j’appelais mon père comme ça, entrer dans la chambre, avec un gobelet rose pour enfant, mon premier gobelet chéri, un gobelet avec deux anses et un couvercle blanc, il y’avait deux petits trous sur le bec, je savais qu’il fallait boire dans ces trous, mais il y’avait un troisième qui m’intriguait, c’était sur l’autre côté du couvercle et je ne savais pas à quoi ça servait, je pensais alors que je pouvais m’en servir quand je ne veux pas beaucoup de lait, un seul trou pour un peu de lait, deux trous pour plus de lait, j’étais pas si bête à l’âge de deux ans! puis à la maternelle j’ai compris qu’il faut que l’air entre pour que le lait sorte, on remplace un truc par au autre, on ne fait jamais le vide, c’est les physiques non !!


J’ai pris le gobelet, j’ai bu, une horreur, du lait chauffé, c’est le malaise, c’est encore cette chose affreuse loin des fenêtres, dans ma couche et dans mon lait, pourquoi moi, pourquoi eux ils ne pleurent pas, c’est seulement moi qui sent ça !

J’étais à nouveau enragée et j’ai pleuré, P’a n’était pas content, mais moi aussi ! et il a commencé à crier, plus fort que moi, j’ai voulu que ma voix soit plus haute, et j’ai hurlé, il est venu vers moi et il m’a frappé, sur les mains, sur les fesses, sur les pieds, je ne me rappelle pas avoir mal, mais il n’était pas gentil, il ne souriait plus, c’était donc différent, ce cercle qu’est son visage n’était pas amusant comme d’habitude, c’est différent, il faut que je vois ça de plus près, j’ai donc cessé de pleurer, et je l’ai regardé, et puis pourquoi il a tapé sur mes mains et mes fesses !
Pour une bonne période j’ai gardé l’habitude d’accorder à cette chose qu’est la chaleur les traits de P’a mécontent, la sensation dans ma couche et le gout de ce lait chauffé, depuis j’ai commencé à faire pipi sur le pot, à me retenir quand on sort, et ne plus jamais boire du lait chaud !
Mama était ébahie, mais elle se rappelle bien de cette nuit, les voisins disaient qu’ils préféraient dormir dans un four à m’entendre hurler toute la nuit, en plus c’était ma première claque, il y’a eu d’autres, mes parents nous frappaient souvent moi et mes sœurs (j’étais fouteuse de merde et chef de ce pti gang), pour nous punir (mon cul !), mais je n’ai jamais pleuré, je les observais tout comme cette nuit en mijotant un nouveau plan original pour jouer.
Je trouve toujours l’origine des mes comportements dans mon enfance. Ce n’est pas seulement une mémoire forte, c’est une conscience, c’est une perception, c’est une histoire personnelle. Pas vous ?

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