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Mes feuilles mortes

  • Le baiser

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    Un jour quelqu’un a dit, les souvenirs sont un moyen de s'accrocher au passé, certains sont ci douloureux qu'on voudrait les oublier, mais un souvenir peut aussi être un don, une chose qu'on peut visiter encore et encore dans le but de s'emplir d'un peu de bonheur, et parfois un moment devient un souvenir à l'instant où il se produit parce qu'il est tellement vrai, tellement pur et important qu'on veut s'en emparer pour toujours.


    Je me fais des souvenirs, je me nourrie de souvenirs, maintenant un souvenir m’effleure, une soirée au mois de mai il y a presque deux ans, lui, un homme charmant, très sûr de lui, inaccessible, un petit peu snob sur les bords, amateur de beauté, me conduit chez moi, il se gare, je me trouve incapable de quitter la voiture, mes jambes me lâchent, mon cœur palpite, soudain une immense fatigue m’envahit, je soupire, ma tête s’alourdie, je la pose sur son épaule, comme une colombe survolant le monde trouve enfin l’auditeur de sa lettre.


    Il s’est figé, j’entends une phrase, « j’ai quelque chose à te dire ! » J’écoute, puis rien!


    Une main chaude saisi mon menton, un bras entoure mon cou, des doigts empressent mes joues, mes doigts s'agrippent sur la main, mes lèvres se repulpent, un visage m’observe, un souffle m’embrase, une bouche me caresse, humide, tremblante, mon cœur bondit, elle s’approche de ma bouche rendu ronde par ses doigts forts et doux, j'haléte, mes yeux refusent d’y croire, mais ma peau se brûle sous la sienne, ses lèvres enlacent les miennes, il me goûte, m’absorbe, s’affole et les mots pénètrent en silence.


    Il n’a jamais dit cette chose qu’il voulait dire, mais j’ai compris.

    Inconsciemment j’étais consciente que ça ne s’arrêtera plus, mais j’ai approuvé le besoin le plus primaire qu’il en soit, celui de parler, consciemment, l’homme d’une autre femme vient juste de m’offrir le plus cher baiser que j’ai jamais eu, et avec un bouquet de mots fou et magiques, moi je disais des mots logiques.


    Je pense quand je le vois que Klimt nous a peint dans son Baiser, ou mon homme lui-même s’appelait Gustav dans une vie antérieure.

  • Premier souvenir

    Il m’arrive souvent d’évoquer mon enfance, pour mieux comprendre ma personne, parce qu’il faut que l’on s’auto-analyse, je cherche toujours la provenance de certains comportements, j’essaye de savoir quand et comment j’ai commencé à agir de la sorte, beaucoup de personnes disent n’avoir aucun souvenir d’enfance, mais pas moi, mon premier souvenir remonte à l’âge de… deux ans, personne ne me croit quand je le dis mais j’ai des preuves, j’ai parlé à ma mère je lui ai décris des scènes dont elle était témoin, et d’une manière très précise qu’elle a fini par me croire.


    Quand ils se sont mariés mes parents ont vécu pendant quatre ans seuls dans un appartement au septième étage d’un immeuble de la fin des années 70, avec pour voisins des jeunes couples et des familles d’immigrants russes, moi et ma deuxième sœur sommes nées dans cette maison, j’y ai passé mes trois premières années, puis ils ont déménagé dans une autre maison que je déteste, cet appartement est le seul chez moi que j’ai jamais eu, je ne suis jamais retournée là bas, ma dernière année dans cette maison était remarquable, j’ai vu l’éveil de ma conscience, mes interactions avec le monde extérieur et avec mon propre corps, et j’étais très attentive d’une manière inconsciente, comme dans un état d’extrême lucidité, j’étais page blanche et puis d’un coup, après cette nuit, le monde a pénétré dans ma tête comme un big-bang, la partie humaine de mon cerveau a commencé à fonctionner et il ne s’est jamais arrêté depuis, sauf volontairement.


    Cette nuit, je me rappelle comme une scène de film que je viens de voir, c’est hallucinant, mais je ne me trompe pas, ma mère avait peur quand je lui ai avoué que j’ai commencé à mémoriser cette nuit, elle pensait certainement aux choses qu’on m’a laissé voir en croyant que j’étais inconsciente, « ce n’est qu’une enfant », pourquoi se méfier!


    Cette nuit, une nuit d’été très chaude, je l’ai réalisé parce que, dans mon souvenir tout le monde était en petite tenue, et que j’étais mal, et que je me soulageais dés qu'on m’approche d’une des fenêtres ouvertes, quelque chose de frais appaisait cette pression que j’avais là haut, dans le visage, je pense que j’avais les traits tendus, et que je pleurais et pleurais, sans cesse.

    Je me rappelle que quand on m’approchait des fenêtres je ne sentais plus besoin de pleurer, mais puisque je flottais dans l’air, quelqu’un me portait, je ne pouvais pas empêcher cette personne de m’éloigner de la fenêtre alors je m’énervais et je pleurais, je criais d’une petite voix aigu qui m’énervais encore plus quand je l’entendais.

    On m’a posé sur une petite moquette, mais j’ai marché maladroitement vers le carrelage blanc, j’avais arrêté de pleurer, je me rappelle la différence entre les deux matières, la texture, la température, j’ai aimé toucher le carrelage pieds nus, et puis j’ai trébuché, ma culotte rose gonflée a amorti le choc sur mes fesse, mais à l’intérieur de la culotte, il y’avait le même malaise que quand on m’éloigne des fenêtres, il faisait chaud, et j’ai recommencé à pleurer, puis j’avais l’impression que je flottais, tout était noir, je ne pleurais plus, je crois que je me suis endormie.
    Je me rappelle ensuite qu’on m’a fait bougé, on m’a changé de place, j’avais les yeux fermés mais j’ai senti une lumière forte à l’endroit où on m’a porté, Mama dit que je me suis endormie par terre et qu’elle m’a emmené au lit dans une autre pièce, et je me rappelle que j’étais en colère je ne voulais pas changer de place, j’étais bien, alors je me suis réveiller et j’ai recommencé à pleurer, je me rappelle que Mama a essayé de me calmer et que moi je lui en voulais m’avoir transporté loin de cette chose dure et froide qu’est la terre du salon, j’ai demandé du lait, je parlais un peu, des monosyllabes compréhensibles dans mon babillage interminable, et là je vois « P’a », j’appelais mon père comme ça, entrer dans la chambre, avec un gobelet rose pour enfant, mon premier gobelet chéri, un gobelet avec deux anses et un couvercle blanc, il y’avait deux petits trous sur le bec, je savais qu’il fallait boire dans ces trous, mais il y’avait un troisième qui m’intriguait, c’était sur l’autre côté du couvercle et je ne savais pas à quoi ça servait, je pensais alors que je pouvais m’en servir quand je ne veux pas beaucoup de lait, un seul trou pour un peu de lait, deux trous pour plus de lait, j’étais pas si bête à l’âge de deux ans! puis à la maternelle j’ai compris qu’il faut que l’air entre pour que le lait sorte, on remplace un truc par au autre, on ne fait jamais le vide, c’est les physiques non !!


    J’ai pris le gobelet, j’ai bu, une horreur, du lait chauffé, c’est le malaise, c’est encore cette chose affreuse loin des fenêtres, dans ma couche et dans mon lait, pourquoi moi, pourquoi eux ils ne pleurent pas, c’est seulement moi qui sent ça !

    J’étais à nouveau enragée et j’ai pleuré, P’a n’était pas content, mais moi aussi ! et il a commencé à crier, plus fort que moi, j’ai voulu que ma voix soit plus haute, et j’ai hurlé, il est venu vers moi et il m’a frappé, sur les mains, sur les fesses, sur les pieds, je ne me rappelle pas avoir mal, mais il n’était pas gentil, il ne souriait plus, c’était donc différent, ce cercle qu’est son visage n’était pas amusant comme d’habitude, c’est différent, il faut que je vois ça de plus près, j’ai donc cessé de pleurer, et je l’ai regardé, et puis pourquoi il a tapé sur mes mains et mes fesses !
    Pour une bonne période j’ai gardé l’habitude d’accorder à cette chose qu’est la chaleur les traits de P’a mécontent, la sensation dans ma couche et le gout de ce lait chauffé, depuis j’ai commencé à faire pipi sur le pot, à me retenir quand on sort, et ne plus jamais boire du lait chaud !
    Mama était ébahie, mais elle se rappelle bien de cette nuit, les voisins disaient qu’ils préféraient dormir dans un four à m’entendre hurler toute la nuit, en plus c’était ma première claque, il y’a eu d’autres, mes parents nous frappaient souvent moi et mes sœurs (j’étais fouteuse de merde et chef de ce pti gang), pour nous punir (mon cul !), mais je n’ai jamais pleuré, je les observais tout comme cette nuit en mijotant un nouveau plan original pour jouer.
    Je trouve toujours l’origine des mes comportements dans mon enfance. Ce n’est pas seulement une mémoire forte, c’est une conscience, c’est une perception, c’est une histoire personnelle. Pas vous ?

  • C'était l'été...

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    Je recherchais un article pour mon mémoire dans mes archives quand je suis tombée sur un papier  dans lequel j’avais écrit, j’en ai plein d’ailleurs, je m’amuse tant quand je les trouve après un bout de temps, ça me file une impression de déjà vu, certainement puisque je l’avais vécu, mais ça me revient doucement comme un rêve récurent, par moment je revis les mêmes sensations, le climat, les sons, les vues, des pièces de puzzle d’une image déjà vue entière, c’était un jour d’été, ce même dernier été (déjà fini !!), un brouillon ;

     

    Heureusement j’ai trouvé ce stylo dans mon sac, parce qu’on n’en vend pas  dans cette gare du sud (la gard –pour bus qui mènent aux villes qui se trouvent sud de Tunis), j’ai pris mon ticket pour rejoindre mes amies à Soliman, et je dois attendre vingt minutes, quelle poisse ! je veux rattraper le soleil, une baignade imprévue, c’est 16 heures déjà, bon j’attend rien à faire, je m’assoie sur un banc, j’ai pris soin de vérifier qu’il y a personne pour me le partager (égoïste ! non, j’évite les dragueurs), j’ai rien à lire, oh que si, un grand livre, les gens qui passent, et j’observe, inquiète bizarrement de tomber sur un visage familier, inquiète de paraître familière pour l’un d’entre eux, j’ai envie d’être inconnue, je suis inconnue déjà, et même bien cachée derrière mes lunettes qui dévorent la moitié de mon visage et mon chapeau aux larges bords fanés qui me donne l’air d’une espionne de la seconde guerre, juste en face une femme à la soixantaine ( je me crève les yeux pour deviner l’âge relative d’une personne), elle porte un foulard noué à la tunisienne, trois gros sacs, un long voyage, à côté deux hommes typiques je dirais, bermudas, mocassins, visages atones bronzés, on en voit partout, un soldat en uniforme verte, maigre presque affamé, y’a plus de bouffes aux casernes ou quoi ? Tiens une femme, jeune mariée à en juger des traces de henné dans les pieds, elle se tient sur des talons aiguilles comme un apprenti clown sur échasses, ses cheveux balayés en blond, les racines d’un brun foncé, des bracelets en or l’empoignant comme des menottes,  je cherche le mari, il est ou ? Ah le voila il leur achète une bouteille d’eau, un visage commun, son chemisier bleu ciel lui dépasse d’une taille…

    J’arrête d’observer les gens, ma tête cogne, c’est à cause de mon œil droit, j’ai mal à chaque clin, je dois changer mes lentilles à contact, oh merde c’est insupportable, s’il serait là il aurait couru chez l’opticien le plus proche m’en prendre d’autres – il me manque si mal, comme mon œil, à chaque battement à chaque clin.

    Je vais rattraper mon bus, je n’ai pas vu le temps passer, que c’est idiot, je voulais justement « le » passer en dévisageant les passants, il a fallu passer et me devancer, bon assez dit, je prends le bus.

    Là aussi rien à faire à part écrire, je me suis installée, j’ai bloqué le siège à coté de la fenêtre, j’ai pas envie d’avoir un curieux sur le dos, un homme dans la diagonale, plutôt pas mal, blond, yeux bleus trop mince pour être beau, j’ai horreur des hommes de tailles petites et minces, et des blonds aussi, devant, deux femmes d’âge moyenne, parlant sans cesse de leur maris de leurs filles, le discours typique, (trop de typique aujourd’hui – à quoi je m’attend bordel !!), oh maudit soit ce voyage les bavardises, l’homme mince à la jambe en plâtre (dès qu’il bouge il a l’air d’être sur le point de se briser en mille morceaux - du coup j’ai mal aux jambes !), et mon œil, et mon cœur.

    Arrêtes de bégayer !!! Ça fait une demi-heure tu trouvais le voyage en bus très instructif, très « voyage »…. Je me dis. C’est vrai, fatiguant, mais le plaisir de voir défiler le paysage banal puis soudainement  impressionnant en vaut la peine. Cet après midi ce n’est pas un long voyage, une petite escapade qui s’annonce ennuyeuse….

    Ah déjà la feuille quasi pleine, je vais pouvoir me régaler d’une « bonne lecture », je souris ça a l’air vachement  cocasse, une certaine tentative de répondre à la consigne qu’on voit souvent dans les exercices d’expression écrite « décrivez ce que vous voyez », un brouillon incohérent,  sans intérêt gribouillé sur une feuille froissée tirée du fond du sac, sur le support  mou qu’est ma cuisse, mais à mon bonheur je suis en voyage et je lis !!

    Oh mes ongles sont terribles, cassés, jaunis, défigurés comment j’ai pu sortir comme ça (arrêtes tu t’en fous pas mal !!!) je m’offrirai une séance de pédicure dès que j’aurais les pieds sur terres. »

    C’est fini l'été, l’automne nous envahit, pas celui de Tokyo ou New York, Tunis est déplaisant en automne, pas de feuilles d’érables rouges, pas de oiseaux, pas de balades en amoureux, que les insectes et les troubles coups de tête de Mr Climat.

     

    Photo: Lee Miller Portrait of space